1989 - Les Vacances de Mademoiselle Davida

Il  y a des jours où la chance vous sourit, et j’ai l’impression que ce lundi 11 août 1989 va être un de ceux-là.
Comme presque tous les jours en cette période, où mon patron Michel, nous amène avec mes copines de férias en férias, je vais entrer en piste dans les arènes d’Orthez. Championnat de France qu’ils ont dit que c’était, je vais devoir m’appliquer. Il est 17h, la musique m’énerve passablement, surtout les trompettes qui jouent un peu faux cette « casérienne » que j’ai entendue mille fois. Et puis la foule trop bruyante ne me donne pas trop envie de rentrer dans cette enceinte où je dois montrer mes talents. Bon ! J’y vais… Eh bé, y’a du monde, et quelle chaleur !.. Un passage, deux passages, les petits hommes en couleur courent devant moi. Ouah! Je suis drôlement en forme aujourd’hui !
  Et si je tentais un saut de « talenquère » ? Ils aiment ça à Orthez, je vais leur en donner pour leurs sous. Attention ! Un, deux et trois !.. Je suis dans la contre-piste. Alors là, ça rigole pas, ça dégage, je tourne, je tourne, et qu’est-ce que je vois ? La porte du toril ouverte. Mais non!  ce n’est pas la porte du toril, c’est la porte de sortie. Allez, Davida, vas-y ! On verra bien, une petite ballade en Béarn ça va te changer de ton pays landais.
« C’est bizarre ! J’ai couru sur le macadam pendant vingt minutes, et personne ne m’a rattrapée: je suis vraiment en forme, malgré mes 400 kg. Oh ! Un lac ! Je commence à avoir soif après cette cavale. La vache ! Qu’est-ce que c’est beau ! Une saligue, avec plein d’oiseaux, des grues, des oies, je crois que ça va me plaire ici. La nuit commence à tomber, Dieu sait où est Michel , mon boss. Bon ! Je vais piquer un petit roupillon. Super ! un champ de maïs, là je vais être tranquille...

« Deux jours que je me suis sauvée, et je n’ai encore vu personne, ils doivent être morts d’inquiétude à Saint Jean de Lier. Pour moi, ça va, pas de problème, question gîte et couvert, j’ai  ce qu’il faut. En plus, c’est rigolo tous ces champs de maïs, je m’amuse bien. Et puis maintenant, je sais où je suis, j’ai vu le panneau hier soir : BIRON, c’est drôle comme nom, mais je pense que je vais m’y installer !

 
« Une semaine que je me la coule douce. Au milieu de ces jambes de maïs, je suis à l’abri des courants d’air et des regards. Mais c’est quoi ce bruit de moteur qui rugit dans le ciel ? Un drôle d’oiseau, énorme.. La vache ! Il tourne au-dessus de moi, il doit me chercher. Il faut que je parte d’ici. Alors, je cours, je change de champ, je traverse des ruisseaux, des haies, mais il me suit, toujours dans le même fracas. Deux heures qu’il me fait cavaler cet oiseau de malheur. Heureusement, la nuit va tomber, je n’en peux plus, tant pis, je me couche.

  
« Depuis quelques jours, il y a du remue-ménage dans le coin. De temps en temps, je vois des types qui passent pas très loin de moi. Mais pas de ceux que j’ai l’habitude de voir dans les arènes, non, ceux-là ils sont normaux, sauf quelques-uns qui ont des insignes bleu-blanc-rouge sur les manches. J’ai même entendu des cloches, comme celles des copines du troupeau à Saint Jean de Lier. Mais bon, je reste planquée, je suis trop bien à Biron.
« Aujourd’hui, 14ème jour de cavale, en me baladant dans ma « forêt vierge », j’aperçois un petit engin volant, suspendu à une sorte de voile en couleur. Il est ridicule à coté du gros oiseau que j’ai vu l’autre jour, mais c’est sûr, lui aussi il me cherche.  Et  vers le soir, qu’est-ce que je vois dans une clairière ? Victor ! Un taurillon de ma ganaderia. Je fonce vers lui, mais je tombe dans un piège. Ils ont tendu une corde, en forme de lasso pour m’attraper. Par bonheur, j’ai une corne vers le haut, et l’autre vers le bas, ma tête ne rentre pas dans la boucle. Raté pour cette fois !… 

«  Bientôt un mois que je suis dans le maïs. C’est super ! Aujourd’hui, j’ai trouvé un seau rempli de blé, d’avoine, de maïs et  de blé. Vachement bon !  Pourvu que ça dure ! Mais non, ça ne dure pas. Voilà que l’affreux oiseau de l’autre jour, le gros, celui qui fait un bruit d’enfer revient et  me survole, de plus en plus bas, de plus en plus près. J’ai beau courir dans le maïs, il va plus vite que moi. Dessus il y a écrit: « Protection Civile ». Et puis il y a un type, avec un fusil ! Mais, il me tire dessus ! Ca va pas non ?  J’ai pas envie de finir en steack. Je suis Davida, championne de courses landaises, en vacances à Biron.  Tout à coup, je sens une piqûre,  puis une deuxième, et une douce torpeur qui m’envahit. Je ralentis, j’ai la tête qui tourne, mes pattes ne me portent plus..
Ben là, je crois qu’ils m’ont eue.

« Et dans mon inconscience, j’entends:
« Bernard, on l’a eue, va chercher la corde», «Jacky, tiens-la bien  par les cornes», « Raymond, approche le tracteur ». Et je reconnais la voix de mon boss, Michel : « Sincèrement, je croyais pas qu’il réussirait, le tireur d’élite, compte tenu de la vitesse de Davida ». Ben, tiens ! Bien sûr que je suis rapide!..

« Ca y est, c’est fini, je suis dans le camion pour Saint Jean de Lier. Mais quelles vacances ! Je vais avoir des choses à raconter à mes copines.
 
Je me souviendrai longtemps de BIRON, c’était énor...meuh !

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